Perspective du souvenir et de l’imaginaire
Nous avons tous un chez soi, une maison, un appartement, un quartier; bref, des espaces qui nous sont familiers. Ce sont des espaces parfois sans intérêt pour d’autres, mais qui pour nous, tiennent une place privilégiée. Une relation d’attachement sentimental nous lie à eux. Nous sommes censés les connaître par cœur, tous les objets qui s’y trouvent, tous les coins, tous les secrets, mais il est surprenant de constater à quel point certains éléments qui le constituent finissent par nous échapper. Nous finissons tous par en oublier certains, alors que nous y habitons toujours.
Je me suis depuis toujours intéressée à la mémoire humaine, à la représentation du souvenir, son effacement dans le temps, à l’oubli. Je remarque notamment qu’il me reste peu de souvenirs des foyers de mon enfance. Contre ma volonté, mon esprit a choisi de les jeter dans le néant, dans le vide, dans le noir. Ces détails ont été éliminés de ma conscience. Je pensais que ces souvenirs s’étaient définitivement évanouis jusqu’au jour où l’un d’eux m’est parvenu en rêve, mais sous une forme totalement fragmentée, toujours plus désordonnée à tel point que je doute de la véracité du rêve.
Notre mémoire est une nouvelle preuve de la fragilité humaine. Elle sélectionne, supprime sans que nous le sachions.
C’est pourquoi j’ai décidé de la représenter en utilisant principalement du noir et du blanc.
Mes toiles représentent une scène à une certaine étape dans l’évolution destructrice de la mémoire. Les objets ont déjà perdu toutes leurs couleurs d’origine, leur intensité lumineuse. Ils commencent même à perdre leur volume, leur forme. Bien que certaines parties restent reconnaissables, d’autres le sont moins, tandis que d’autres encore ne le sont plus du tout.
« La mémoire fonctionne avec les indices qui permettent de reconstituer les choses : ces indices sont prélevés dans la réalité présente, ils sont plus ou moins exagérés et déformés, ils ramènent ce qui est absent vers le présent et, du coup, le modifient. »
(Tatiana Trouvé, Djinns 2005).
Dans mes oeuvres, la fusion des formes est exprimée par celle des objets, grâce notamment à l’homogénéité du noir ou du blanc.
Les frontières entre les entités s’entremêlent pour finir par disparaître. Ainsi, mes réalisations sont une exploration du souvenir, ou du rêve qui s’altère, se désagrège et qui finit par se désintégrer.